Béjart fête Maurice
Chorégraphie : Maurice Béjart et Gil Roman
Distribution : Béjart Ballet Lausanne
Le Palais des Congrès de Paris accueille le Béjart Ballet Lausanne du 26 au 29 février 2020, avec un programme très riche : t’M et variations, une création de Gil Roman, puis une suite d’extraits signés Maurice Béjart et le Boléro.
Depuis sa formation en 1987, le Béjart Ballet Lausanne est une référence dans le monde chorégraphique. Gil Roman, ex-danseur de la compagnie, désigné comme successeur par Maurice Béjart, en assure la direction artistique depuis sa disparition en 2007.
t’M et Variations, pièce créée par Gil Roman en 2016, se présente comme un « journal d’un jour de fête ».
Au fil des pages, de courtes séquences dansées teintées d’émotions poursuivent l’excellence artistique insufflée par Béjart et dévoilent la spontanéité et la créativité de G. Roman.
Les danseurs de la Compagnie sont entrainés par une musique percussive impressionnante, vibrante, ruisselante ou « citypercussion » exécutée en live sur le plateau par Thierry Hochstätter et JB Meier.
Pas à pas, la joie de vivre, la nécessité impérieuse du plaisir à danser et ses notes plus intimes défilent sur scène ; des duo, trio, sous-groupes synchrones tissant des liens invisibles cultivent des lignes posturo-gestuelles épurées, étirées et prennent des poses graphiques.
On assiste aux jeux mutins d’un trio sur un banc, à des élans auxquels met fin la résonance d’un gong. Cinq danseurs piègent le sixième qui intègre le petit groupe dans une superbe évolution à l’unisson, tandis qu’une arrivée d’interprètes en kimono court évoque le monde asiatique.
Outre les couples homme-femme dans des attitudes d’attirance, de séduction et de romance amoureuse, il faut remarquer la présence de duos masculins, à l’image de la place que Béjart accordait aux hommes dès les Ballets du XXème siècle, contrebalançant un rôle trop prononcé de faire-valoir de la grâce féminine des ballets romantiques du XIXème siècle.
Un solo sur pointes, à la silhouette très « béjartienne » élancée en justaucorps, en conforte le souvenir mais la danseuse s’amuse à échanger avec un musicien et finit par une expression alerte pieds nus, chaussons agités dans ses mains.
Les variations successives de t’M et Variations font un très beau grand écart entre le classique, les figures « béjartiennes » et un style libre contemporain pour les réunir et les combiner dans une esthétique très appréciée du public.
Un danseur s’échauffant à la barre introduit la deuxième partie tandis que la salle s’obscurcit.
La 1ère symphonie de Beethoven accompagne un ensemble choral parfait en costumes noirs et blancs qui inaugure Béjart fête Maurice mis en scène par Gil Roman.
Des pas de deux extraits des chorégraphies prestigieuses de Maurice Béjart se succèdent : Héliogabale (1976) sur une musique traditionnelle tchadienne ; Im chambre séparée (1996), sur les musiques de Carl Maria von Weber et de Richard Heuberger) avec Elisabet Ros et Julien Favreau ; le solo Und so weiter – très technique et très applaudi – de Masayoshi Onuki sur une polka de Johann Strauss ; le couple, Jasmine Cammarota dans sa longue robe blanche et Vito Pansini en costume noir et kippa évoquant un cérémonial juif à la fois émouvant et enjoué tiré de Dibouk (1988) sur des chants et mélodies juives.
Le duo masculin de Kwinten Guilliams et Leroy Mokgatle soutient le style classique, issu de Rossiniana (1993) sur une composition musicale de Gioacchino Rossini.
Puis l’ensemble de la compagnie envahit le plateau et clôt cette partie festive et virtuose.
La table rouge mythique, circulaire et symbolique, est alors roulée sur la scène, alors que 18 danseurs munis d’une chaise font leur entrée et s’assoient en cercle, délimitant ainsi l’espace quasi-sacré du Boléro (1961) * sur la musique répétitive et pénétrante de Maurice Ravel.
La Mélodie est magistralement assurée par Elisabet Ros. La soliste colle au rythme musical par un mouvement du corps balancé, cadencé, permanent, érotisé ; elle devient enjôleuse, attractive avec quelques gestes forts et pas sur place, excitant la curiosité de quelques hommes qui se redressent, se lèvent et s’approchent en adhérant à son déhanchement qui va crescendo. Happés par l’énergie magnétique de la femme, ils ont tous là, agrippés fébrilement à la table pour sauter à genoux sur son pourtour, jusqu’à l’explosion jouissive générale et l’effondrement cathartique finale.
Il s’agit là de la pure reprise de la pièce initiale « une femme entourée d’hommes* ». Ce soir, la fascination du public est, encore une fois, intacte, se manifestant par un déferlement d’applaudissements.
Paris, Palais des Congrès, 26 Février 2020
Jocelyne Vaysse
* M. Béjart a créé deux autres versions de cette pulsion désirante, où la Mélodie incombe à un homme (créateur du rôle Jorge Donn) : Boléro II avec un homme et des femmes en Janvier 1979, puis Boléro III avec un homme et des hommes en Juin 1979 (Fondation Maurice Béjart ©). Ce Boléro inspire aujourd’hui des chorégraphes contemporains qui créent des versions inédites aux remaniements musicaux et chorégraphiques audacieux, dont celles d’Odile Duboc (Trois Boléros, 1997) ; de Raimund Hoghe (Boléros Variations, 2007) ; d’Angelin Preljocaj comme final de Gravité (2018) ; le « Boléro hip-hop » algérien de la pièce Nya (2010) de Abou Lagraa et celui du danseur chorégraphe canadien Guillaume Coté.