La Pastorale – Interview de Thierry Malandain
Pour l’anniversaire des 250 ans de la naissance de Ludwig van Beethoven, Thierry Malandain créée pour le Malandain Ballet Biarritz La Pastorale, présentée à Chaillot – Théâtre National de la Danse à partir du 13 Décembre. La grande musicalité du chorégraphe, son style qui exalte un mouvement dansé pur et son aptitude à insuffler à ses œuvres des valeurs spirituelles, sont encore une fois exaltés dans cette nouvelle création. Dans cette interview, le directeur du CCN-Malandain Ballet Biarritz nous livre ses propos.
A.P. Comment est née cette commande de l’Opéra de Bonn ?
T.M. Le Malandain Ballet Biarritz danse souvent dans ce théâtre et Bonn est la ville natale de Ludwig van Beethoven. A l’occasion de l’anniversaire des 250 ans de la naissance du compositeur allemand, le théâtre m’a invité à célébrer son œuvre. D’abord, j’avais pensé créer un ballet sur la Septième Symphonie, mais il aurait requis le double des danseurs, la musique étant trop puissante pendant toute sa durée de quarante minutes. J’ai donc choisi la Sixième symphonie, La Pastorale.
Vous avez composé deux autres ballets avec les musiques de Beethoven, d’abord Les Créatures en 2003 écrit sur Les Créatures de Prométhée, une partition réputée « chorégraphiquement » difficile, nominé à Moscou aux Benois de la Danse et qui a remporté le Prix de la Critique du meilleur spectacle étranger au 19ème Festival International de Ballet de la Havane à Cuba. Puis en 2012, vous avez créé le solo intitulé Silhouette sur le 3ème mouvement de la sonate n° 30, Op.109. Comment avez-vous abordé cette fois la musique ?
Je dirais que j’ai adopté la même approche que pour les autres ballets.
Dans votre ballet, vous avez inséré aussi la Cantate op. 112 et quelques motifs des Ruines d’Athènes. Pourquoi ce choix et à quel moment sont-ils situés ?
Je voulais utiliser une musique chantée ; c’est la raison pour laquelle je me suis orienté vers la Cantate, la Messe du même compositeur aurait été trop longue.
Mon ballet est idéalement divisé en trois parties : une première qui représente le monde réel, contemporain, sur les musiques des Ruines d’Athènes ; une deuxième, qui fait allusion à un univers de rêve, sur les notes de la Pastorale et la dernière, qui consacre l’élévation au Paradis à travers la mort sur la Cantate.
La Pastorale évoque l’amour du compositeur pour la nature mais aussi l’antiquité hellénique. Et pour vous, Thierry Malandain ?
Je dirais que je l’ai interprétée de manière littérale. Le monde grec, avec sa perfection, a toujours été considéré au fil des siècles en tant que lieu idéal de refuge, notamment dans le XVIII ème siècle mais aussi dans les années vingt. Dans les époques plus troublées, riches d’incertitude, on a tendance à regarder cette époque particulière de notre histoire pour retrouver le sens de l’équilibre, des valeurs. Cela est symbolisé dans mon ballet par l’ascension au Paradis.
Ludwig van Beethoven avait surtitré la sixième Symphonie « Symphonie Pastorale, ou Souvenir de la vie rustique, plutôt émotion exprimée que peinture descriptive ». Comment avez-vous développé la chorégraphie pour ne pas la rendre descriptive ? Les cinq mouvements qui la composent évoquent des situations très précises.
J’ai surtout suivi la structure de la partition, très musicale. J’ai porté mon regard sur l’antiquité grecque, sur les danses du premier Empire, le style de Serge Lifar et celui des années vingt. En particulier, la figure d’Isadora Duncan m’a inspiré, avec son retour à l’hellénisme, à la beauté, à l’harmonie du corps, symbole de spiritualité. La chorégraphie se développe comme un flux de mouvements en continu. L’esprit de chaque partie de mon ballet s’exprime aussi grâce au choix des décors : la première partie liée à la réalité se déroule dans un carré ; la deuxième partie est épurée et la troisième, celle du Paradis, est caractérisée par la figure de l’escargot, symbole de la spirale et d’une certaine circularité qui apparaît dans La Pastorale.
Quel mouvement de la Symphonie préférez-vous ?
Pendant toute la partition je saisis des magnifiques moments ; j’aime l’Allegro du troisième mouvement ou bien le quatrième mouvement, L’orage, mais aussi certains passages dans le final.
Comment avez-vous travaillé avec les danseurs pour transmettre vos propos ?
Je n’ai pas vraiment parlé avec mes danseurs lors de la création car, seulement par le dialogue, il est difficile de pouvoir donner des références à l’antiquité. Je leur ai montré surtout des photos pour leur faire connaître l’esthétique de l’époque antique.
Comment se positionne Thierry Malandain homme avec la sensibilité de Beethoven ?
J’ai essayé de rentrer en syntonie avec l’âme du compositeur et de m’imprégner de sa sensibilité, naturellement.
Propos recueillis par Antonella Poli, Décembre 2019