Come Out
Chorégraphie : Olivier Dubois
Distribution : CCN-Ballet de Lorraine
Musiques : Steve Reich
Olivier Dubois, originaire de Colmar, ex-directeur du Ballet du Nord, collabore pour la première fois avec le CCN – Ballet de Lorraine en tant que chorégraphe.
Il choisit d’interpeller l’ensemble de la compagnie, sans hiérarchie entre ses membres, ni soliste, dans la mise en scène de Come Out, une création mondiale.
Sa pièce découle d’un fait réel socio-politique datant des années soixante aux USA où la ségrégation raciale entraina des émeutes dans le quartier de Harlem à New York, dont les violences subies par un groupe de jeunes noirs de la part de la police puis inculpés collectivement pour meurtre en 1964 (alors qu’un seul est coupable).
C’est une succession de reprise et de filiation concernant ce fait qui a conduit à cette composition chorégraphique, synthèse expressive de divers tumultes et de positions engagées qui adviennent.
Come Out est d’abord une partition musicale de Steve Reich, compositeur américain, écrite en 1965 en soutien au groupe des « Harlem Six » dont leurs mots sont repris : « I had to, like, open the bruise up and let some of the bruise blood come out to show them *» : les hématomes (saignements sous la peau) résultent des coups portés par la police, ils apportent lors du procès une preuve rosée rougissante de la brutalité, autant sociétale que policière.
Les derniers mots « come out to show them » sont captés, répétés, ressassés, mêlés à des bruits urbains et une musique rythmée minimaliste (qu’affectionne Steve Reich), contribuant à la bande-son selon un arrangement de François Caffenne et d’Olivier Dubois par un « processus de répétition avec phasage / déphasage progressif pendant 13 mn », fragment repris et étiré par réverbération sur la durée de la chorégraphie. Si bien que l’on assiste à une superposition textuelle, verbale et motrice.
On comprend que cette histoire dramatique devient symbolique de tous les combats qui se réactualisent dans divers lieux et causes de la planète.
Faits, phrases et sons intègrent et alimentent la pièce. Ils sont là, statiques sur le plateau. Les vingt-trois interprètes se redressent lentement alors que la voix édicte la phrase qui s’entend, s’accélère, se brouille, haletée avec précipitation « come out to show them, come out… », phrase-son s’amplifiant et accompagnant les artistes jusqu’au salut final.
L’insistance du come out sonore soutient subtilement les danseurs, campés sur leurs jambes tendues à l’extrême, comme enfoncées dans le sol. Ils déploient une agitation du torse accompagnée d’un élan de l’épaule et du bras, formant un ensemble où chacun est son semblable. Tous -hommes et femmes- en justaucorps blancs, paraissent reliés par des liens invisibles qui assurent une structure chorégraphique à l’unisson. Le balancement subtil des corps s’intensifie et devient hypnotique ; les mouvements de bras deviennent significatifs de lutte, de défense hargneuse, de rage, entrecoupés d’avant-bras posés sur la cuisse dans une posture d’accablement ou de gestes de jets de projectiles ; le sol est rosé, renvoyant l’image du saignement intérieur des hématomes tout en gagnant en poésie.
Le groupe se scinde, fonctionne en écho, en tension, puis se disperse dans un moment esseulé ; cette rupture entraine une course poursuite, des déséquilibres rattrapés furtifs, des positions disloquées, agenouillées, douloureuses, épuisées. Les danseurs s’affolent, se reprennent, se dissocient à nouveau… pour mieux se rassembler en un bloc compact, en force.
C’est enfin le retour à la structure spatiale et gestuelle inaugurale, soulignée par des jeux de lumière, suggérant un éternel recommencement des luttes solidaires, comme s’il s’agissait de prolonger une longue chaine de transmission combative en opposition aux répressions socio-politiques.
Donnée en des lieux historiques, cette pièce est impressionnante par la qualité chorégraphique des interprètes du Ballet de Lorraine et par le message délivré.
Elle est suivie d’une discussion avec le public en présence du directeur artistique du CCN – Ballet de Lorraine, Petter Jacobsson et d’Olivier Dubois qui précise l’importance du support musical fourni par Steve Reich et l’intérêt du système non pas tant répétitif que d’accumulation et de léger décalage (le déphasage). Comme une vibration renvoyant aux coups répétés sur la chair qui suinterait jusqu’à rosir/rougir… le tapis de sol du plateau.
Come out lance un appel à la résistance contre toutes les formes de maltraitance, sublime et magnifiquement dansé.
Opéra de Nancy, 13 Novembre 2019
Jocelyne Vaysse
* « J’ai du ouvrir mes bleus et laisser le sang coulé pour leur prouver ».