Guillaume Côté célèbre ses 20 ans au Ballet National du Canada
Samedi 2 Mars prochain, Guillaume Côté, Principal Dancer et Chorégraphe Associé, fêtera ses 20 ans de carrière au Ballet National du Canada. Il dansera au Four Seasons Center for the Performing Arts à Toronto, Apollo de George Balanchine. Au programme dans la même soirée, Night de Julia Adam, The Sea Above, The Sky Below de Robert Binet, chorégraphe associé et une nouvelle relecture de Paquita du directeur artistique associé Christopher Stowell.
A l’occasion de cet anniversaire, Guillaume Côté se livre au travers de 20 mots, comme 20 bougies, pour célébrer son étincelant parcours.
Découverte(s)
La première vraie grande découverte a été Mikhaïl Barychnikov avec le film White Nights. Son importance est due au fait qu’il m’a fait comprendre que la danse pouvait être une vraie profession. Je vivais au Québec, au nord du Canada, une région isolée et j’avais commencé la danse autour de 8 ans. Malgré ma passion, ma vision sur cet art restait limitée. J’ai adoré ce film qui m’a ouvert les horizons.
L’autre découverte importante de ma carrière a été celle de John Neumeier, qui avait créé Yondering, avec les musiques de Stephen Collins Foster pour l’Ecole National du Ballet du Canada (1996). Ça a été vraiment magique de travailler avec lui surtout il m’a enseigné à faire ressortir tout l’aspect profond et artistique qu’un vrai interprète doit montrer sur scène. Au-delà des qualités purement techniques, il m’a ouvert les yeux sur toute la puissance de la danse.
Rencontre(s)
Je peux affirmer que j’ai été chanceux. Une de plus belles rencontres a été celle de Roland Petit au Théâtre La Scala de Milan. J’avais beaucoup aimé son ballet Le Jeune Homme et la Mort que j’avais vu dans le film White Nights et, étant jeune homme, ce ballet m’avait marqué. Le rencontrer à Milan où j’ai dansé Pink Floyd Ballet avec Svetlana Zakharova (2009), fut exceptionnel. Je passais beaucoup de temps avec lui, on déjeunait ensemble, il me racontait toutes les anecdotes sur l’histoires de la danse, sur ses amitiés avec Charlie Chaplin, Marylin Monroe de vive voix, comme s’ils étaient encore vivants. Cela me passionnait et j’étais touché. Aussi à nouveau je dois citer John Neumeier mais aussi d’autres stars, les danseuses Julie Kent que je n’oublie jamais, Paloma Herrera, Tamara Rojo, avec qui j’ai dansé plusieurs fois. Elles m’ont permis de changer ma façon de travailler et de voir la danse.
Une autre belle rencontre a été celle avec Alexeï Ratmansky, qui a créé pour moi le rôle de Roméo dans son Roméo et Juliette (2011) et avec qui j’ai travaillé pour Russian Seasons. Il a le mérite d’avoir su réinventer et d’ouvrir de nouvelles perspectives pour la danse classique, tout en protégeant le classicisme. Pour moi personnellement il a joué un rôle remarquable car je vivais un moment où je me sentais saturé de la technique classique, je n’y croyais presque plus. Il a donné une tournure nouvelle à ma vision de la danse et nous sommes toujours amis.
Eh bien sûr, la rencontre la plus marquante de ma vie a été celle avec Heather Ogden, aujourd’hui ma femme. Nous avions 19 et 20 ans et nous avons dansé ensemble Roméo et Juliette avec le Ballet National du Canada. Nous sommes devenus un couple quelques années plus tard.
Muse(s)
J’admire beaucoup Heather, en tant qu’artiste, nous vivons ensemble et nous partageons notre passion commune avec la même vision de la danse. Je pense aussi à Greta Hodgkinson avec qui j’ai travaillé beaucoup et qui m’inspire toujours autant.
Enfants
Mes enfants sont mes amours. Ils ont changé ma vie, en effet cela change le retour à la maison, car ils te font mûrir et ils t’obligent à assumer beaucoup de responsabilités. Être père requiert aussi beaucoup de patience, c’est un exercice quotidien qui me permet de les enseigner et de les guider dans leur croissance, un peu comme dans mon métier. Grâce à eux je vois la danse de manière différente, j’arrive à prendre du recul dans ma carrière et je peux entrer dans une dimension différente, en jouant ou en s’amusant ensemble.
Bolchoï
Le Bolchoï c’est le Bolchoï ! J’étais allé plusieurs fois à Moscou, j’avais dansé au Théâtre Stanislavski et à ces occasions j’ai plusieurs fois longé ce grand théâtre. J’avais aussi assisté à des spectacles dans ce lieu si riche d’histoires, berceau de la danse, mais sans jamais y danser. Parfois je me disais que je n’y arriverais jamais. Quand j’ai eu la proposition du rôle de Roméo au mois de décembre dernier, ça a été une merveilleuse surprise, je ne m’y attendais pas du tout. J’ai tout donné sur scène, c’était magique, j’ai adoré cette expérience qui reste unique pour un danseur.
Musique
Ça fait partie de ma vie depuis longtemps, j’ai fréquenté le conservatoire mais dans mon appréciation j’ai pris du recul ; aujourd’hui je considère la musique comme un bon complément par rapport à la danse, et une première source d’inspiration en tant que danseur et chorégraphe. J’admire tous ceux qui arrivent à créer sans musique, mais personnellement je crois qu’elle est fondamentale pour créer l’atmosphère. J’écoute beaucoup de musique variée, mes gouts sont très contrastés. Parmi les nouveaux compositeurs contemporains j’aime notamment Du Yun, avec sa musique atonale et abstraite mais aussi Mikhaïl Karlson et David T. Little, Andy Ahiro, compositeur de New York, avec son style caractérisé par beaucoup de rythme associé à des styles différents, dont le drumming style. Pendant ma jeunesse, avec mes amis, j’aimais l’heavy metal. Je peux ajouter que j’écoute de la musique classique du matin au soir : j’aime Chostakovitch, Stravinsky et Mozart.
Festival
Être directeur du Festival de Saint-Saveur m’a appris à être administrateur et cela m’a donné la possibilité de connaître beaucoup d’artistes, des danseurs, des compagnies, de participer à des conférences, de découvrir notamment la danse israélienne, les évolutions de la danse européenne, de comprendre et d’apprécier le théâtre-danse. Quand on est simplement danseur, on fait moins d’efforts pour aller voir d’autres spectacles. Ce rôle m’enrichit car j’entre en contact avec des nouveautés.
Solitude
Le seul moment où je me sens seul est pendant les phases de création lorsque je cherche à rendre vivantes mes intentions et à concrétiser ma propre vision. Dans tous les cas, je ne vis pas de manière négative ces moments de solitude.
Blessure
J’ai eu plusieurs blessures pendant ma carrière de danseur. Ce sont des moments tragiques et frustrants qui peuvent mener à la dépression car j’aime mon travail. Il faut avoir la capacité à prendre du recul au point de vue du mental pour s’en sortir. Une fois rétabli, on se sent plus fort.
Heureusement aujourd’hui, grâce aux nouvelles méthodes d’entrainement physique et à des conseils alimentaires actuels, les danseurs peuvent limiter les blessures.
Interprétation
Je négocie toujours avec moi-même pour améliorer mon style et mon interprétation en essayant de les enrichir et les rendre originaux. En fait je me pose la question s’il s’agit d’une interprétation ou d’une recréation. Il y a des rôles où je me suis senti plus libre, notamment celui de Vronsky dans le ballet Anna Karenine de John Neumeier ou encore dans d’autres pièces plus facilement jouables pour moi.
Prince
J’ai joué ce rôle plusieurs fois, notamment dans la Belle au Bois dormant ou dans Le Lac des Cygnes de différents chorégraphes. Certes, sur le plan interprétatif on a beaucoup à donner. Prenons comme exemple le deuxième acte du Lac des Cygnes : mes modèles restent Eric Bruhn et Rudolf Noureev qui ont su valoriser ce rôle à côté de la « ballerina » qui a normalement une première place.
Scène
Elle est ma maison, je voudrais être toujours sur scène ; même quand je travaille dans le studio, je pense au jour de la représentation, je l’attends. Pour moi les moments que je vis sur scène sont sacrés.
Regard
Je préfère avoir un regard ouvert sur les autres, pas seulement me concentrer sur moi-même. Je peux reconnaître mes forces et mes faiblesses envers les autres, j’ai beaucoup de respect pour tous ceux qui m’entourent et je pense que c’est mieux d’assumer une position d’observateur.
Geste
Je porte une très grande attention au geste qui va au-delà de l’aspect technique. Je crois que sont très importants tous les gestes et les mouvements qui s’intercalent entre les différents pas codifiés. Un maître pour cela était Noureev ou c’est encore John Neumeier qui pose une grande attention au détail pour développer les histoires de ses ballets.
Avec le mot geste je pense aussi aux reconnaissances que j’ai reçues de grandes personnalités du monde de la danse, notamment Monica Mason, (ex-Directrice du Royal Ballet de 2002 au 2012), Kevin McKenzie, Directeur de l’American Ballet Theater ou bien encore à Karen Kain, Directrice du Ballet National du Canada qui fait confiance à mes créations.
Création
Dans mon processus de création je pars toujours d’une idée, d’un concept et j’essaie de me concentrer pas seulement sur les pas mais surtout sur les émotions que la pièce doit dégager. Je reste très ouvert pour essayer de nouveaux chemins qui se lient pour arriver à la création finale.
Rôle Fétiche
Je privilégie trois rôles : Nijinsky dans le ballet éponyme de John Neumeier ; Roméo dans le Roméo et Juliette d’Alexeï Ratmansky.
Inspiration
Chaque fois, j’ai différentes et nouvelles sources d’inspiration mais cela dépend aussi des gens qui travaillent avec moi.
Par exemple pour mon ballet Le Petit Prince, je me suis appuyé sur le texte de Saint Exupéry ; pour Being and Nothingness sur le texte philosophique L’être et le Néant de Jean-Paul Sartre. Pour ma dernière création de 2018, Frame by Frame, j’ai travaillé avec Robert Lepage. En général, pour mes créations je m’inspire toujours de nouveaux concepts.
Il y a aussi des chorégraphes que j’admire beaucoup, notamment Jiří Kylián, Crystal Pite, Pina Bausch, William Forsythe, Alexeï Ratmansky. Et parmi les danseurs Robert Tewsley, Vladimir Malakhov, Herman Cornejo, Leonid Sarafanov, David Hallberg.
Inoubliable
Je tiens particulièrement à deux moments de ma carrière qui resteront inoubliables. Le premier c’est quand j’ai dansé en 2007 pour la première fois au Théâtre La Scala de Milan dans La Belle au bois dormant. Mes parents étaient venus du Québec pour assister à la représentation. J’étais vraiment heureux d’apercevoir mon père de la scène surtout parce que, quand j’ai commencé à étudier la danse, il ne croyait pas que cela mène à un métier. Le deuxième plus beau souvenir, c’est la tournée avec le Ballet National du Canada à Paris au Théâtre des Champs Elysées en 2017, où j’ai dansé Nijinsky de John Neumeier. C’était la première fois dans la capitale française.
Rêve
Sur un plan personnel, je rêve de passer beaucoup plus de temps avec mes enfants, de rester plus proche d’eux pour pouvoir leur transmettre l’amour de l’art.
Sur le plan professionnel je voudrais continuer à créer, peut-être un jour pour l’Opéra de Paris, un lieu si important et si riche en histoires
Projet
Mon futur projet est Crypto, un ballet d’après un livret créé par Royce Vavrek, librettiste et dramaturge canadien. Il s’agit d’une histoire simple qui met en valeur à la fois la beauté et le sens de se sentir dépaysés. Ce concept peut être interprété de manière plus large et faire référence notamment à l’obsession que nous pouvons ressentir face à l’exigence de nous conformer à certains idéaux sociaux dont la religion et les systèmes politiques.
Crypto sera créé pour quatre danseurs : Greta Hodgkinson, Drew Jacobi, Matt Foley et moi-même et il sera représenté l’été prochain au Festival des Arts de Saint-Saveur, à Toronto et à Montréal.
Propos recueillis par Antonella Poli