Le Lac des Cygnes
Chorégraphie : Radhouane El Meddeb
Distribution : Ballet de l'Opéra national du Rhin
Musiques : Tchaïkovski
Proposer une relecture d’une des œuvres les plus représentatives de l’histoire de la danse peut toujours sembler un défi exigeant, d’autant plus si le chorégraphe, Radhouane El Meddeb, se distingue de par ses pièces contemporaines.
Le choix de Bruno Bouché, directeur du Ballet de l’Opéra national du Rhin, confirme les propos de son projet artistique visant à développer de nouvelles formes de la danse classique pour qu’elles soient porteuses d’une nouvelle dramaturgie, capable de susciter la réflexion du public et de lui offrir les clés d’une lecture plus contemporaine.
Et voilà la reprise du Lac des Cygnes de Radhouane El Meddeb, créé en Janvier 2019 et présenté par le Ballet de l’Opéra national du Rhin du 4 au 6 Juin 2021 à La Filature de Mulhouse, une vraie surprise chorégraphique et dramaturgique de par sa construction. Tous les danseurs de la compagnie, trente-deux, sont sur scène. Le chorégraphe ne néglige pas leur patrimoine classique ; au contraire, il en fait l’élément de force, en employant le vocabulaire du ballet.
Mais l’originalité de cette création vient du travail du chorégraphe qui sectionne le sujet original du Lac des Cygnes pour en garder et réimaginer seulement les fragments cruciaux. Et il ne se limite pas seulement à cela. Il les réinterprète en saisissant les sentiments et les enjeux théâtraux qu’ils contiennent. Les actes plus proprement connus comme « blancs » disparaissent, il n’y a plus le dualisme entre cygne blanc et noir et même la présence de Rothbart semble être atténuée.
Néanmoins ce qui ressort de manière limpide est la condition de soumission que les cygnes subissent. Leur capacité de s’exprimer est limitée. En fait, le chorégraphe conçoit de longs passages où les danseurs, indépendamment de leur genre, restent immobiles, enfermés dans leur cinquième position croisée. Cela met en évidence le choix de Radhouane El Meddeb qui chamboule la vision traditionnelle du Lac des Cygnes qui, tout au long des siècles, restait un ballet « féminin ». Seulement Noureev avait valorisé la figure masculine du prince et de son précepteur en l’enrichissant d’une analyse psychologique profonde.
Nous nous trouvons face à une œuvre qui tente d’éliminer toute question du genre. On le remarque notamment dans le Pas de Quatre des Petits Cygnes, normalement dansé par quatre danseuses et qu’ici est ici interprété à la fois, par des danseuses et par des danseurs.
Autre caractéristique de cette relecture : le rapport entre Odette et le Prince n’occupe pas une place centrale dans la construction dramaturgique du ballet. Il y a le moment de la rencontre et de la découverte qui sont rendus sur scène de manière très délicate ; les regards et la proximité des corps des deux interprètes, Céline Nuningé et Riku Ota sont tellement intenses et magnétiques qu’ils attirent l’attention. Seulement dans le final, ils expriment toute la tragédie de l’histoire avec une gestualité très expressive qui va au-delà du simple mouvement dansé.
Démocratiser et dépoussiérer l’ancienne vision du Lac des Cygnes semble être un autre objectif de Radhouane El Meddeb. Le passage où les danseuses, chacune à leur tour, abandonnent sur scène leurs pointes, en témoigne. Cela ne voudrait-il pas signifier abandonner un des plus grands stéréotypes du Lac pour lui redonner une forme de liberté ? Et dans une certaine mesure, on pourrait même interpréter ce geste symboliquement, comme s’il représentait une sorte d’affranchissement de la condition de soumission qui habite les créatures-cygnes.
La musique intemporelle et sublime de Tchaïkovski, jouée par l’Orchestre philarmonique de Strasbourg, accompagne sans aucune dissonance les univers déployés par ce Lac des Cygnes. Le décor très simple, un simple tutu classique blanc, d’autres pendus à une garde-robe située sur un côté de la scène et un lampadaire en cristaux pour évoquer le palais royal, ne distrait pas le public qui peut se plonger complétement et se laisser emporter par les nouveaux chemins dramaturgiques de ce Lac des Cygnes. Une réussite !
Antonella Poli