L’histoire de Manon

Chorégraphie : MacMillan

Distribution : Emanuela Montanari, Claudio Coviello et le Corps de Ballet de la Scala de Milan

Musiques : Massenet

Emanuela Montanari-ph.Brescia Amisano

L’Histoire de Manon est sans doute un des plus riches ballets sur le plan de l’expression classique conjuguée à un sens du théâtre assez unique et à une grande finesse psychologique.

Ce ballet de Kenneth MacMillan crée en 1974 est une œuvre inspirée du livre de l’Abbé Prévost, une histoire simple dont les rebondissements perdent de leur éclat au fur et à mesure que l’on avance dans la narration. La construction dramatique progresse lentement et l’intensité n’est vraiment à son point culminant que dans le dernier pas de deux qui décrit la mort de Manon. C’est un ballet basé sur le rythme des changements de tableaux pour raconter linéairement l’histoire. L’Histoire de Manon est un exemple remarquable du style chorégraphique de MacMillan : pour la vivacité des ses émotions, pour l’intensité des sensations, pour la capacité d’évoquer une menace imminente et de mettre en scène remarquablement la force des passions en utilisant le langage de la danse.

L’Histoire de Manon est donc la vision de l’histoire tragique du chevalier Des Grieux avec son héroïne, jeune fille implacable et attirée par les plaisirs de la vie.  La raison de son comportement tient à ses origines : une famille digne mais qui se retrouve dans la pauvreté. Et Manon a énormément peur de la pauvreté, encore plus que d’être pauvre. C’est ainsi qu’elle arrive à perdre toute dignité. Après les premières représentations de ce ballet où les étoiles Svetlana Zakharova et Roberto Bolle ont réalisé encore une fois de performances brillantes, le public attendait de découvrir l’interprétation d’Emanuela Montanari et du premier danseur Claudio Coviello, certainement moins célèbres que leurs collègues. Dès le premier pas de deux, lyrique et passionnant, Manon et Des Grieux montrent toute leur passion, accompagnés par le thème musical principal du ballet. Emanuela Montanari séduit son chevalier qui ne peut que succomber au charme de la jeune fille. Il peint un Des Grieux un peu naïf, délicat, presque trop faible dans ses rapports avec Manon et dans son interaction avec le monde. 

Claudio Coviello-ph.Brescia Amisano

Le pas de deux est très riche de lifts qui créent un dialogue puissant entre les corps. La chorégraphie alterne déplacements fluides, pauses structurées par les regards et passages extrêmement rapides qui s’enchaînent sans briser la ligne musicale.

Le second pas de deux, qui se déroule dans la chambre parisienne de Des Grieux, nous fait entrer dans l’intimité des deux amants pour un pur moment de bonheur partagé. La précision à la base du langage de MacMillan est totalement imbriquée au sens musical des interprètes.

Mais à briser l’amour des deux jeunes c’est le frère de Manon, Lescault, interprété par Walter Madau. D’une part il essaie de réserver un destin meilleur à sœur, d’autre part il se révèle responsable de son destin tragique en l’obligeant à céder aux désirs de Monsieur GM en contrepartie d’une somme d’argent. Le jeune danseur, qui fait partie du Corps de Ballet mais qui a l’habitude de danser des rôles de soliste, arrive à donner une très belle interprétation, puissante et capable de faire assumer à son personnage le rôle central qu’il joue dans l’histoire. Il s’agit d’une belle surprise car elle montre l’évolution de ce danseur, un espoir pour d’autres rôles centraux.

Le deuxième acte est le plus narratif des trois. C’est là que Manon apparait à côté de Monsieur GM, en tant que femme riche, habillée très somptueusement avec des bijoux précieux. Elle ignore complétement Des Grieux malgré les promesses d’amour échangées pendant le premier acte. Sa personnalité, au fond ambiguë et fragile, l’emmène à donner à Des Grieux un jeu de carte truqué qui lui permettra de gagner une partie contre Monsieur GM. C’est l’acte qui la condamne à mort. Lescault, son frère, est tué ; Manon est emprisonnée et traitée comme une prostituée. Encore une fois, malgré sa brève apparition, Mick Zeni est parfait dans le rôle du gardien de prison.

Dans l’acte III, tant les tonalités du décor de Nicholas Georgiadis que l’harmonie formée avec les costumes nous plongent dans la moiteur nauséabonde du port de la Nouvelle-Orléans, dans l’attente du navire des forçats.

Le débarquement des prostituées sous le regard lubrique du geôlier imprime une tension au virage que prend le drame. L’épuisement de Manon, accrochée au bras de Des Grieux rempli d’espoir, est rendu avec grande crédibilité par Emanuela Montanari, une nouvelle fois physiquement transformée à l’orée du chemin de croix qui l’attend : l’assaut du geôlier est chorégraphié avec une brutalité et un réalisme précurseurs des créations postérieures de MacMillan. Le final est un sommet de désespoir. Manon, désarticulée par la mort qui l’envahit, danse une dernière fois dans les bras de son Chevalier aimé qui cherche en vain à la sauver et à la garder en vie. Cet ultime pas de deux est une merveille chorégraphique  où l’essence de l’amour et de la mort perdent toute différence. Le rideau tombe sur l’image de Des Grieux désespéré au sol à côté du corps sans vie de sa Manon.

Antonella Poli

Milan, La Scala, 27 Octobre 2018

 

 

 

 

 

 

 

 

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