Soirée Française
Chorégraphie : Serge Lifar, Roland Petit
Distribution : Les étoiles, les premiers danseurs et le Corps de Ballet de l'Opéra de Rome
Musiques : Edouard Lalo, Pink Floyd
De programme en programme, l’étoile Eleonora Abbagnato, directrice du Ballet de l’Opéra de Rome, enrichit le répertoire de la compagnie avec des pièces qui exigent des danseurs une maitrise toujours plus grande de leur art. Pour la Soirée française au programme de l’Opéra de Rome du 28 janvier au 3 février, c’est, avant le Pink Floyd Ballet de Roland Petit, la Suite en blanc de Serge Lifar qui fut l’occasion de montrer le niveau désormais atteint par les danseurs de la compagnie italienne.
Créé en 1943, en pleine occupation de Paris par les nazis (ce que Lifar paiera à La Libération), Suite en blanc est en effet une pièce truffée de difficultés, « une succession de véritables études techniques réunies exclusivement par leur style néo-classique » selon les mots du chorégraphe. Lifar lui-mȇme y dansait aux cotés de ses étoiles Yvette Chauviré, Solange Schwartz, Lycette Darsonval et du corps de ballet de l’Opéra de Paris. Tours en l’air et sauts spectaculaires pour les garçons, équilibres délicats, double fouettés pour les filles, aucune prouesse ne manque dans cette succession de dix petits tableaux qui, outre la difficulté, portent toute la rigueur et le raffinement de l’école française. S’agissant d’une création de Lifar, on y retrouve aussi quelques unes des inventions du chorégraphe comme la sixième et la septième positions ainsi que des ports de bras originaux. Mȇme retenue élégante dans la blancheur des costumes (tutus pour les filles, chemise et collant pour les garçons) qui se détachent sur un fond noir. Quant à la musique d’Edouard Lalo (des extraits de son ballet Namouna composé en 1882), elle a profité avec bonheur de la direction énergique de Carlo Donadio à la tȇte de l’orchestre de l’Opéra de Rome. Conçue comme une œuvre de danse pure, elle se doit d’ȇtre interprétée parfaitement. Et on a pu y admirer une troupe en grande forme dans laquelle brillèrent notamment Susanna Salvi et Alessio Rezza, tous deux récemment nommés Premiers danseurs. Quant à l’adage, point d’acmé du ballet, ce fut une splendide Eleonora Abbagnato dignement accompagnée par le soliste Michele Satriano qui le dansèrent. C’est la première fois que Suite en blanc est interprétée par une autre compagnie que celle du Ballet de l’Opéra de Paris. Mȇme la redoutable et exigeante Claude Bessy, venue à Rome remonter le ballet , s’est dite enchantée du résultat.
Avec Pink Floyd Ballet , l’exquise atmosphère de Suite en blanc fait place à celle, plus explosive, du ballet que Roland Petit a créé en 1972 et avec lequel il démarra son aventure marseillaise longue de 26 ans. Petit, toujours attentif à son époque, avait entendu dans la chambre de sa fille à peine adolescente, un disque du groupe anglais qui lui avait immédiatement donné l’idée d’une chorégraphie.
Il partit pour Londres, rencontra les Pink Floyd à qui il demanda s’il pouvait utiliser certains de leurs morceaux pour un prochain ballet et le groupe, gagné par son enthousiasme, lui proposa de participer au spectacle sous forme de concert. Un choix de 12 chansons, parmi lesquelles la très connue Money, fut fait entre musiciens et chorégraphe, et le 13 janvier 1972, avec les Pink Floyd jouant dans un nuage de fumigènes sur une plate-forme dominant le plateau, les danseurs de la toute récente compagnie des Ballets de Marseille, en collant académique blanc, tenaient tȇte à la musique en lui opposant un contrepoint chorégraphique d’une belle teneur. Ce fut une Première mémorable !
Par la suite, le ballet fut repris avec cette fois la musique des Pink Floyd enregistrée. Luigi Bonino, ancien danseur des Ballets de Marseille, longtemps assistant de Roland Petit et aujourd’hui responsable de nombreux ballets du maitre, a remonté Pink Floyd Ballet pour le Ballet de l’Opéra de Rome en 2015 lorsqu’il a été dansé dans les majestueux Thermes de Caracalla avant d’ȇtre repris aujourd’hui dans le théàtre de l’Opéra de Rome. Et c’est étrange de constater que ce ballet vieux de plus de 46 ans, n’a rien perdu de sa vitalité. La structure du ballet qui alterne mouvements d’ensemble avec des trios, duos et solos supporte très bien le passage du temps et résiste à la puissance de la musique. On sent aussi le plaisir qu’éprouvent les danseurs à bouger sur les sons psychédéliques d’un des groupes les plus inventifs de l’époque. Une saga sonore pour un voyage chorégraphique enveloppé dans des jeux de lumière signés Jean-Michel Désiré, où les illusions optiques défient nos perceptions spatiales. A voir et à entendre !!
Sonia Schoonejans