Protagonist
Chorégraphie : Jefta van Dinther
Distribution : Ballet Cullberg
Musiques : David Kiers
Dans le cadre du Festival Nordique organisé par le Théâtre National de la Danse Chaillot du 16 au 27 janvier, le chorégraphe Jefta van Dinther avec le Ballet Cullberg (Suède), a présenté la pièce Protagonist où le protagoniste qui joue le rôle principal peut bien être chacun d’entre nous ou encore un collectif d’individus ayant un objectif commun.
Nous sommes prévenus par une voix off qu’une confrontation va opérer avec une « petite voix » intérieure. « Elle murmure, te parle et tu ne peux rien faire pour l’arrêter, elle t’ensorcelle, …puis elle enfle et se transforme plus tard en hurlement. …Est-ce l’obscurité en toi ? ».
Sur le plateau, se déroule une première partie offrant la vision d’une micro – société, d’un concentré diversifié d’humains à l’œuvre dans son versant négatif de la vie sociétale, à l’image de l’Enfer de Dante*.
Ici, point de danse virtuose et de soliste mais 14 interprètes – hommes et femmes – en short, jogging, tee-shirts, rangers ou tennis qui se démènent, se toisent, s’adonnent à des mouvements véhéments, contorsionnés et autres agitations posturo-gestuelles que, pourtant, seuls des corps de danseurs sont capables d’effectuer.
Des scènes d’agressivité, d’attraction sexualisée et de rejet, d’affrontement violent pour prendre le pouvoir jusqu’au possible acte meurtrier déferlent entre divers sous-groupes et entre les individus. Qui soutient qui ? Qui retient qui ? A ces mêlées aux accents paroxystiques, succède la domination des uns ou des autres puis la consternation où pointe l’absurdité.
Les danseurs, ayant épuisé leur énergie, en viennent à se camper immobiles devant le public – une autre communauté – dans un long et pesant silence qui contraste avec la musique jusque là rythmée et soutenue de David Kiers.
On ne sait plus qui devient le miroir de qui dans ce face-à-face. La déambulation des danseurs reprend, ils sont solitaires, pensifs.
Les corps semblent accablés, les attitudes bancales et raidies pour, lentement, se métamorphoser et amorcer par leurs allures la deuxième partie.
C’est une plongée vers nos origines, vers notre dimension corporelle primitive, plus animale et instinctive que cérébrale. Les pas deviennent plus humanoïdes que humains, la démarche plus « néandertalienne » ; les vêtements censés nous socialiser s’enlèvent, oripeaux abandonnés sur scène.
Dans un échafaudage en fond de scène, lieu d’accroche comme des branches d’arbres, les artistes totalement nu-e-s se croisent, évoluent par saut, suspension, agrippement, balancement, accroupissement ; ils s’approchent, se contactent, réamorcent des liens interindividuels qui suscitent de l’espoir et même de l’attention à l’autre.
Toute la pièce renvoie à ce discours fondamental entre nature et culture, aux efforts et effets de l’organisation sociale et des « malaises dans la civilisation** » ; lesquels peuvent atteindre la destruction et le chaos ou tendre vers la tolérance et la (ré) conciliation. La « petite voix » clôture la pièce, renvoyant chacun à ses propres pensées et à son degré de clairvoyance alors que l’éclairage de la salle s’intensifie et inonde le public jusqu’à… l’aveuglement.
* Dante Alighieri (1307-1321), La Divine comédie
** Freud Sigmund (1929), Malaise dans la civilisation.
Jocelyne Vaysse