Hors Cadre
Quand le danseur Samuel Murez crée son groupe 3e étage avec quelques uns de ses collègues de l’Opéra de Paris, il est tout de suite question de mise à distance, sur un mode ludique, des codes régissant une institution aussi imposante que l’Opéra de Paris. Il jette un regard moqueur sur le quotidien du danseur, pratique l’autodérision avec dextérité, n’hésite pas à enlacer les mots avec les gestes et avoue une obsession du temps qui donne lieu à des scènes drôles et rythmées.
Les spectacles de 3e étage auraient pu n’ȇtre qu’un besoin de défoulement de potaches soumis le reste du temps à une stricte discipline. Mais le professionnalisme des interprètes, le regard acerbe du metteur en scène, la cohérence de l’ensemble évitent le piège, surtout, il faut le dire, grâce à la présence solaire de François Alu, Premier danseur à l’Opéra de Paris! C’est autour de lui d’ailleurs que s’est construit le dernier spectacle de 3e étage.
Quand François Alu rejoint le groupe en octobre 2013, il vient à peine de sortir de l’Ecole pour intégrer le corps de ballet. D’emblée, il travaille donc en même temps la recherche de la perfection avec la compagnie de l’Opéra tout en s’amusant à en déconstruire les habitudes et les tics avec 3e étage. Toujours avec la mȇme exigence, le mȇme souci de faire mieux. C’est donc un François Alu hors cadre (de l’Opéra) qu’a présenté, les 8 et 14 Octobre derniers, le groupe de 3e étage (six danseurs tous membres du Ballet de l’Opéra) dans le joli Théâtre Antoine à Paris.
Un François Alu en grande forme, qui joue de sa technique époustouflante, faisant succéder à une variation du Don Quichotte exécutée « alla grande » la même variation dansée comme un débutant. Le public rit tout en pouvant apprécier la difficulté d’exécution d’une danse apparemment aisée. A un autre moment, c’est une variation du répertoire exécutée en exagérant les caractéristiques du style soviétique qui provoque les rires. La reprise d’un ballet, cas fréquent à l’Opéra, qui donne lieu aux célèbres expressions « Ce n’est pas la version » ou « Ce n’était pas comme ça à la création », avec le délire obsessionnel de vouloir respecter l’original ou de s’en éloigner pour proposer sa propre version, devient, avec 3e étage, un moment hilarant !! Une autre séquence, elle aussi très drôle, est celle qui parodie une chorégraphe contemporaine, adepte de la non danse ! Il y est question de tout et de n’importe quoi sauf bien sûr de danse. La moquerie fait mouche car il est facile d’y reconnaître certains aspects de la contemporanéité artistique.
On comprend aussi que pour des artistes dont l’apprentissage du ballet exige sans cesse de se dépasser, il est difficilement concevable de prétendre créer une chorégraphie sans en posséder le métier. C’est aussi ce que pense François Alu : « Je ne conçois pas l’art sans un savoir faire. Et pour moi, la tradition rime avec modernité. Elle peut et doit rester vivante. Travailler et créer avec des chorégraphes contemporains comme William Forsythe, Mats Ek ou Cristal Pite fut un immense plaisir. Bien sûr, il y a des choses qui vieillissent, comme par exemple l’usage de la pantomime dans le ballet. Mais jouer avec les codes et les contraintes de notre monde du ballet comme nous le faisons n’empȇche pas le plus grand respect. J’aime, j’adore même le ballet classique, tout en n’oubliant pas ce que peuvent m’apporter d’autres disciplines.
Vous savez, j’ai commencé la danse avec ma mère, professeur de modern Jazz, et aujourd’hui, je pratique aussi le popping. D’ailleurs, ma danse est imprégnée de hip hop : j’y trouve un phrasé, une rapidité qui me conviennent. Sans oublier le théâtre qui m’attire beaucoup, et j’ai une prédilection pour les rôles de composition comme dans Le Fantôme de l’Opéra. Avec 3e étage, nous jouons beaucoup à combiner les mots avec les gestes. Et nous continuons sans cesse à trouver de nouvelles associations. Notre travail avec Samuel Murez est très complice. Nous rions beaucoup. Il sait exactement ce qu’il veut, avec aussi la capacité de saisir ce qu’il y a en chacun de nous de plus intéressant : il donne des indications, nous proposons, ensuite, il structure. Nous travaillons très vite, ce qui est une nécessité car le travail à l’Opéra nous laisse peu de loisirs. Mais la vitesse donnée à nos scènes est essentielle. Le rythme est parfois effréné. Cela fait partie du style de 3e étage ».
Autour de François Alu, on retrouve le noyau dur du groupe, Clémence Gross, Lydie Vareilhes ainsi que Takenru Coste, Simon Le Borgne et l’inénarrable Hugo Vigliotti, aussi vif et charmeur que notre Premier Danseur.
Sonia Schoonejans