Focus Marie Chouinard

Marie Chouinard-ph.Karine Patry

La Biennale de danse du Val de Marne a finalement pu consacrer un important focus à la chorégraphe canadienne Marie Chouinard. Depuis des années, Daniel Favier, directeur de la manifestation, avait voulu accueillir l’artiste mais les différentes circonstances l’en avaient toujours empêché.

Cette année, le public a pu être emmené à redécouvrir le travail chorégraphique de Marie Chouinard qui, après presque quarante ans, n’a rien perdu de son éclat.

Entre tradition et innovation, les spectacles présentés ont montré toute l’attention de la chorégraphe envers la construction d’un langage chorégraphique viscéral. Il explore les possibilités expressives du corps humain qui, plus que jamais, se révèlent d’une très grande richesse. Cette réussite est le résultat d’une réflexion que la chorégraphe mène avec les danseurs de sa compagnie. Chacun d’entre d’eux est différent et sans doute une de leurs plus grandes qualités est celle de savoir se mettre en jeu et de chercher dans leur intériorité les sources du mouvement. En fait, le processus de création de Marie Chouinard se construit à partir d’une idée préliminaire de base qui se développe à fur et à mesure grâce aux apports singuliers de ses danseurs qui dégagent leurs émotions à travers la maîtrise de leur respiration. Il s’agit d’un engagement qui les oblige à creuser dans leur personnalité pour s’offrir avec sincérité et avec beaucoup d’énergie.

Les moments d’improvisation vécus dans le studio représentent pour les interprètes de vrais moments de liberté d’où naît une gestuelle pure. On ressent encore aujourd’hui cette recherche autour d’un geste passionnant et vigoureux poussé aux extrêmes et qui ne se perd jamais dans le superflu.

A la Biennale du Val de Marne, Marie Chouinard a présenté Les Jardin des délices, première française, créé en s’inspirant de l’œuvre du peintre néerlandais Jérôme Bosch. La richesse figurative de ce triptyque a donné matière à la chorégraphe qui s’est plongée dans la compréhension de cette œuvre en saisissant son message fondamental. Elle a su reproduire un sentiment esthétique sans forcément parcourir les singles scènes du tableau. Il y a bien sûr des références, mais ce n’est pas ça qui compte. Les corps des danseurs sont porteurs des mêmes émotions que celles exprimées dans le tableau avec en plus toute la richesse que les mouvements peuvent dégager. Des vidéos placées sur les côtés de la scène sont les seuls éléments qui rappellent les figures du tableau. La troisième partie du ballet est dans doute la plus réussie : la sacralité du paysage du Paradis est rendue de manière remarquable avec un jeu d’alternance entre tous les danseurs qui reprennent l’image statique du tableau représentant Dieux avec Adam et Eve. Le Jardin des délices est une pièce où les corps ne sont pas porteurs d’images provocatrices mêmes si elles auraient pu l’être. Seul point faible de ce ballet : la deuxième partie, trop longue, où Marie Chouinard a voulu représenter un paysage infernal qui se révèle peu incisif et plein d’éléments redondants.

Au Théâtre Paul Eluard de Bezons, c’était le tour des incontournables : L’après-midi d’un faune et le Sacre du Printemps. Ces deux pièces, la première créée en 1987 et la deuxième en 1993, restent deux chefs d’œuvre, exemples d’une richesse créative remarquable. Surtout le Sacre qui exprime toute la force de la nature et son énergie créative ; même les danseurs se transfigurent en n’apparaissant plus comme des êtres humains et en prenant des attitudes animalesques. Cette version reste une de plus belles parmi toutes celles de l’histoire de la danse.

Un grand cadeau pour cette Biennale a été la Conférence dansée n. 2, présentée à la Briqueterie (la n.1 avait eu lieu à Montréal). Marie Chouinard a confié à quatre de ses danseurs (Valeria Galluccio, Morgane Le Tiec, Sacha Ouellette-Deguire et Carol Prieur) la création de cette rencontre inédite, où les interprètes ont creusé dans les réminiscences et souvenirs de leur vie personnelle et artistique pour qu’ils puissent se transformer en matière dansante. De manière personnelle et surtout chacun avec sa propre sensibilité, ils s’expriment avec la parole, le geste à la fois intime et ironique, toujours sans aucune intermédiation. Quel que soit le sujet de chaque solo, les spectateurs sont entrainés dans un partage d’expériences. Le courant passe vite.

Encore plus qu’à travers ses autres œuvres, on peut saisir le travail corporel profond de la compagnie de Marie Chouinard.  La chorégraphe sera pour les trois prochaines années directrice de la Biennale de la Danse de Venise et est en train de préparer une nouvelle création avec les Ballets de Monte-Carlo, sur proposition de Jean Christophe Maillot.

                                                                                                                                                                                                Antonella Poli

 

 

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