L’Histoire de Manon
Chorégraphie : MacMillan
Distribution : Svetlana Zakharova, Roberto Bolle, les premiers danseurs et le Corps de Ballet du Théâtre la Scala de Milan
Musiques : Massenet
Ce fut une soirée spéciale. Vendredi 13 novembre au soir, Paris venait de subir une vague d’attentats monstrueux et les âmes du public italien étaient très touchées par cet évènement. Le Directeur de la Scala, Alexandre Pereira, soutenu par tous les artistes du théâtre, invita à observer une minute de silence en hommage à toutes les victimes. Dans son discours, il souhaita que les danseurs puissent contribuer à montrer que la beauté et la force de la danse étaient capables de rendre hommage à la vie et être symboles d’espoir pour le futur.
Au programme, l’Histoire de Manon, un ballet avec une chorégraphie que MacMillan avait bien conçue, d’une richesse psychologique et technique très importante.
En fait, Manon incarne la pureté d’une fille de seize ans qui est depuis son plus jeune âge confrontée aux valeurs matérielles de la vie auxquelles elle cède. Les trois actes qui composent le ballet offrent un caléidoscope de sentiments, montrent les différentes facettes de l’amour d’une femme et d’un homme et leur tragédie.
Svetlana Zakharova est Manon et Roberto Bolle Des Grieux. Le couple, qui a déjà dansé plusieurs fois L’Histoire de Manon, est au sommet. Ils arrivent à réaliser un amalgame et l’union complète de leurs corps dans les scènes où leur histoire d’amour se développe, ils sont capables de montrer toute la corruption présente dans le Paris du XVIII siècle dans le deuxième acte, et enfin dans l’acte conclusif, ils figent leur tragédie avec le pas de deux final où le sentiment du sublime apparait dans toute sa force.
La beauté de leur interprétation coupe le souffle. Svetlana Zakharova, qui a pu parfois sembler moins à l’aise dans les changements psychologiques de son personnage, nous semble une autre danseuse ; surtout dans le deuxième acte, où la jeune fille amoureuse du premier acte doit laisser la place à une femme expérimentée, froide et qui tient à l’argent. Sa délicatesse et sa sensualité innocente, qui marquent le premier acte, se transforment au fur et à mesure. Roberto Bolle (Des Grieux) assure avec une grande maturité son rôle, d’abord de séducteur discret capturé de l’illusion de l’amour, ensuite comme homme trahi avec une envie de revanche, et enfin héro lui aussi de la tragédie.
Mick Zeni nous donne une très belle interprétation du rôle du gardien de prison, cruel dans le traitement de sa proie ; Alessandra Vassallo joue bien l’amante de Lescault. Pour revenir au pas de deux final, il représente la synthèse de tous les sentiments vécus tout au long de la pièce : il y a l’amour, il y a les efforts des deux amants qui essaient de se repentir de leurs mauvais choix et l’on ressent dans les portés tout le sens de la mort, que le thème musical marque dès le début. Le corps de Manon devient de plus en plus lourd, chaque geste semble de plus en plus perdre de son énergie et en même temps implorer la vie ; Des Grieux, avec ses sentiments toujours vivants qui lui donnent force, essaie de la ranimer et faire ressurgir leur amour. La messe est dite, Des Grieux est à genoux désespéré : Manon meure dans les bras de son amant, pâle, sans force et abandonnée, gisant au sol.
Cette soirée exceptionnelle a vraiment montré, comme le directeur artistique Pereira le souhaitait, la force de la danse comme moyen de redécouverte des valeurs humaines. Un grand merci bien sûr à tous les artistes qui ont contribué à une telle soirée.
Milan, Théâtre La Scala, 14 Novembre 2015