Le Lac des Cygnes
Chorégraphie : Angelin Preljocaj
Distribution : Odette / Odile : Théa Martin; Siegfried : Laurent Le Gall; Mère de Siegfried : Clara Freschel; Père de Siegfried : Baptiste Coissieu; Rothbart : Antoine Dubois e 22 danseurs du Ballet Preljocaj
Il était très attendu ce Lac des Cygnes d’Angelin Preljocaj, d’autant plus que la crise sanitaire de la Covid-19 avait retardé d’un mois et demi le début des répétitions, commencées seulement le 22 juin dernier.
Après les ballets narratifs Roméo et Juliette et Blanche Neige , le chorégraphe avait décidé de se plonger dans le chef d’œuvre du répertoire du ballet signé Marius Petipa et Lev Ivanov, significatifs à la fois pour son argument fascinant, pour la technique classique employée et pour la musique, un monument de Tchaïkovski.
Le défi était grand pour Angelin Preljocaj et le jour de la première mondiale n’a pas manqué d’arriver. La Comédie de Clermont Ferrand-Scène Nationale a marqué avec cette première mondiale son réouverture après 18 ans de nomadisme entre la Maison de la Culture et d’autres théâtres limitrophes : elle habite maintenant une ancienne gare routière, lieu stratégique de la ville auvergnate et point de départ international pour la communauté portugaise résidente. Les fresques du plafond ont été maintenues et retouchées ainsi que la structure métallique originale de la gare qui soutient le vitrail de la façade conçu par l’architecte Valentin Vigneron. La restructuration a mis en valeur la luminosité des vastes espaces, créant des accueillantes salles de réunion, de brainstorming, des studios « à la pointe » et des loges pour les danseurs équipées de fenêtres afin de favoriser la détente des artistes.
Mais revenons au Lac des Cygnes. Angelin Preljocaj respecte la structure de l’ancien ballet classique avec un prologue et quatre actes, réunis ensemble sans entractes. Il retient de l’argument original la lutte contre des forces du bien et du mal et le cadre du deuxième et quatrième acte superposant à ceux-ci sa relecture contemporaine. En fait le propos du chorégraphe est celui d’inscrire l’histoire dans notre époque pour condamner les dérives provoquées par l’affirmation d’une logique capitaliste qui se révèle insouciante face aux problématiques écologistes. Donc parmi les personnages principaux, le roi et la reine deviennent un riche financier et une épouse soumise aux volontés de son mari ; le Prince Siegfried, un jeune romantique ; Odette, une jeune fille séduisante et Odile la femme manipulatrice, Rothbart un malin agent financier. Quant à la musique, il utilise à quatre-vingt-dix pour cent la partition du compositeur russe en l’alternant avec des musiques techno-contemporaines qui s’amalgament sans contrastes.
Le prologue s’ouvre comme par tradition avec la figure d’Odette qui est transformée en cygne mais dans cette version cette scène pourrait évoquer l’épisode d’un viol. Le premier acte nous renvoie au monde de la finance grâce à des vidéos rappelant les gratte-ciels de Wall Street ; sur scène a lieu une réception qui se substitue à la fête de la cour. Dans le bal, on comprend toute de suite l’intention d’Angelin Preljocaj : valoriser son œuvre grâce à une richesse chorégraphique de mouvements puissants tirés de son vocabulaire égale à celle employée par Marius Petipa et Lev Ivanov, même si de styles différents. C’est aussi dans ce premier acte que Rothbart apparait : par son caractère plus marqué, il impose toute de suite sa suprématie en convainquant le père de Siegfried d’investir dans un projet financier. Le deuxième acte reste « blanc », dansé sur un lac : ici le langage adopté par le chorégraphe devient plus classique en employant des ports de bras typiques de l’ancien Lac des cygnes , avec un défilé d’arabesques dans de nombreux passages…Du jamais vu dans des ballets d’Angelin Preljocaj !
Et la rencontre entre Siegfried et Odette est teintée d’une fraîcheur contemporaine : la jeune fille n’est plus timide, au contraire ses attitudes séduisent le jeune homme. La danse des quatre cygnes est maintenue mais conçue avec une touche ironique dans le final : les quatre interprètes secouant leurs anches. Dans le troisième acte, les danses folkloriques, notamment celles napolitaine et espagnole sont maintenues mais interprétées en style moderne. Tout le corps de ballet s’engage avec beaucoup d’énergie et de passion, presque impossible de suivre leur rythme incessant! Mais le drame de l’histoire s’approche avec l’entrée en scène d’Odile : Siegfried tombe amoureux d’Odile et les vidéos projetées sur le fond de la scène, illustrant des graphiques financiers désastreux, marquent le krach boursier : le patrimoine investi est perdu, le site industriel construit en supprimant des zones vertes s’écrase. Dans le quatrième acte, à nouveau entièrement « blanc », est à la fois romantique et tragique : les cygnes, comme dans la tradition, remplissent la scène et l’entrée de Siegfried à la recherche de son Odette est désespérée…Symboliquement, avec la transformation d’une lune pleine en une tache noire gigantesque, les forces du mal engloutissent Odette, Siegfried et les cygnes.
A la fin du spectacle, derrière les coulisses, Angelin Preljocaj peut finalement se détendre : souriant et satisfait de la soirée, souligne la force de ses danseurs qui se sont donnés à fond dans ce premier spectacle sur scène après le confinement. Et le chorégraphe en a toutes les raisons car il nous a restitué une œuvre exaltée par une danse vertigineuse et une chorégraphie inventive.
Le Lac des Cygnes en tournée :
Festival Diaghilev, Saint-Pétersbourg (Russie), 12 novembre 2020
Festspielhaus St Pölten (Autriche), 21 et 22 novembre 2020 (avec orchestre)
Chaillot – Théâtre national de la Danse, Paris, Du 12 décembre 2020 au 21 janvier 2021
La Faïencerie de Creil, 26 et 27 janvier 2021
Palais des Festivals de Cannes, 30 janvier 2021
L’Archipel, Perpignan, 02 et 03 février 2021
Le Forum de Fréjus, 06 et 07 février 2021
Opéra de Massy, 11 et 12 février 2021
Théâtre Olympia, Arcachon, 23 et 24 février 2021
Biennale de la danse de Lyon, Maison de la danse, Lyon, du 26 mai au 03 juin 2021
Clermont Ferrand, Comédie-Scène Nationale, 7 Octobre 2020
Antonella Poli